Jerry dessine à main levée un personnage sur le mur, avec un pallier divisant le mur en deux teintes pour son installation à la résidence ZAT.
Jerry Batista est originaire de Grajaú dans le quartier Zona Sul de Sao Paulo et codirige la galerie A7MA installée dans le quartier Vila Madalena, avec un groupe d’artistes et de sérigraphes qui ont évolué parallèlement à la scène graffiti-street art et musicale de Sao Paulo. Voici une interview de Jerry réalisée à Grajaú, accompagnée d’images d’une peinture murale qu’il a peint, ici, dans le quartier phare des fresques murales de Paris, le 13ème arrondissement, près de la station de métro Nationale, devant la première grande fresque de Shepard Fairey à Paris.
Jerry ajoute sa couche de base pour sa peinture murale dans le 13ème arrondissement de Paris.
Jerry Batista explique la scène artistique locale de Grajaú dans une interview avec Streetartparis.fr.
Je pense à … comment as-tu appris … comment vois-tu la différence entre l’époque où tu étais plus jeune et que tu peignais, et cette nouvelle génération, y-a-t-il un changement de thème ? Comment vois-tu ce nouvel horizon qui émerge ?
Alors… la différence commence par le fait que nous avions, certes, des professeurs, mais ils n’étaient pas vraiment des professeurs de graffiti, ils n’étaient pas des professeurs de cet art urbain… mais nous avions de bons enseignants ; cette nouvelle génération a eu la chance d’avoir des enseignants, de parler un peu de ces expériences …
Ce que je vois de différent… Grajaú a lui-même toujours été connu comme un lieu de peinture figurative. Cette nouvelle génération fait encore de la peinture figurative, mais un peu plus abstraite, le langage n’est pas pour autant plus clair que dans mon temps. Il y a des choses plus subliminales, certains messages ne sont pas si clairs. Je pense que c’est bien ce qui est en train de se passer, car cela montre que si l’art est le fruit d’une période, cette nouvelle génération ne peindra pas les mêmes choses que j’ai peintes. Ils vont créer de nouvelles choses qui appartiennent à leur époque … Ils ont des mots qu’ils utilisent beaucoup…
L’utilisation des mots est-elle plus courante aujourd’hui ?
Ils utilisent plus les mots en effet … les mots singuliers ont toujours existé car ils expriment parfois certains moments ou choses ; la poésie frappe aujourd’hui parmi cette nouvelle génération de peintres, qui est aussi plus … plus vectorielle, quelque chose qui appartient au langage moderne, de l’internet. Je pense que c’est tout aussi bien. Je pense que c’est tout aussi bien.
Et (—) parfois ces mots chantent, parfois, ce sont des choses existentielles, ils font beaucoup ce genre de choses, parfois subliminales, un peu abstraites, et d’autres fois un peu plus … mais pas très évident mais plus avec quelques mots qui donnent une direction.
Installation de Jerry Batista pour la Résidence artistique ZAT à Sao Paul, organisée par Tinho alias Walter Nomura.
Détail d’une peinture à l’huile faite sur un tableau d’école brésilien d’origine pour l’installation ZAT (Zona Autônoma Temporária) de Jerry à São Paulo.
Peinture à l’huile sur le plateau d’un casier d’écolier rouillé.
Des mots existentiels tels que ?
Ils ont plusieurs amis faisant des erreurs, perdant des gens, cela participe au changement, de sorte que ces éléments les affectent aussi, donc ils mettent ces choses essentielles, les choses de l’Internet. C’est ce qui est différent, ils représentent beaucoup de choses provenant d’Internet, mais aujourd’hui ils écrivent beaucoup de messages, ils utilisent beaucoup cette manière de communiquer, donc je pense que c’est important aussi.
Comment utilisent-ils Internet ?
Oh, ils utilisent leur Instagram, leur Facebook pour toucher le plus de monde possible, mais pas seulement les personnes de la communauté. Donc ils peignent ici et là mais ils sont également préoccupés par les habitants de la Zona Norte donc cela se répand davantage. Ils essayent aussi d’avoir, par ce biais, des contacts avec ces gens, donc c’est vraiment bien, Ils viennent ici et vont peindre également dans le centre, donc c’est assez saisissant.
Une chose que je vois et qui est frappante, est l’utilisation du latex, ils en utilisent beaucoup, puisqu’ils n’ont pas le choix, l’aérosol est cher et le latex un peu plus abordable, on peut remplir de grande surface avec, alors la plus part des gens à Grajau utilise toujours le latex avec l’aérosol ce qui est enfaite une vieille technique de l’école du graffiti, exactement pour cette raison, à cause de la nécessité. C’est assez frappant ici en ville.
Jerry Batista et ses amis, parmi lesquels l’artiste conceptuel brésilien, Eduoardo Srur.
Tu parlais de l’horizon, mais je n’en ai pas très bien saisi le concept…
Tu vois les gens, comment ils utilisent, comment ils utilisent l’information, ils doivent changer… ce qui est aujourd’hui plus large. Je pense que l’évolution des artistes est liée à cette ouverture, donc tu continues de collecter des choses et de les traiter.
Comment tu vois ces artistes, pas seulement de la nouvelle génération ; comment il tire profit de cet horizon plus étendu ?
J’aime beaucoup ce nouveau procéder, d’internet… Je pense que c’est un très bon moyen d’expression orale, les photos, aujourd’hui tu postes une photo et quelqu’un que tu ne connais pas en Angleterre la commente et te donne la possibilité d’échanger avec elle, parfois il ne parle pas la même langue mais la discussion est quand même possible, donc je pense que c’est vraiment bien comme ça, de voir des gens qui s’identifient eux mêmes, pas juste les brésiliens mais des gens de partout ; ce web, ces contacts que nous collectionnons sont vraiment importants pour le monde moderne, je pense, pour ne pas rester bloqué à un seul endroit.
Je pense que le risque aujourd’hui d’être un artiste et de mourir dans son quartier est très bas si tu utilises internet… tu vas avec ces gens qui vont aimer ce que tu aimes et qui vont vouloir te suivre, le processus de ton travail, c’est un peu ça.
Il parle de la possibilité de nos jours d’absorber cette information qui est produite (…) mais il va la réinterpréter ici, les techniques, les thématiques, comment tu vois ça ?
Comment tu ressens cette interprétation, de la réalité locale, comment tu vois les œuvres des autres artistes… Cela va et vient vers toi et tu continues ton travail, comment tu vois ça ?
Le problème des influences, du monde moderne, cela te fait aussi entrer en contact avec d’autre artistes, d’autres personnes.
Parmi notre école, nous avons toujours été préoccupé par ce fait de copier les autres, de les voir… dans une telle extension de la vieille école, qui est formé par Tinho, [Walter Nomura], ces gens font face à des problèmes, tu sais, et puis les histoires arrivent, les gens critiques, alors ils se mettent à se concentrer pour trouver leur propre style.
Je pense que ces choses sont importantes mais il faut prendre en compte qu’être unique est le seul secret pour développer un bon art (…) Une fois, les gens ont demandé, une femme à demander à un photographe : “Oh, il y a tellement de photographes aujourd’hui…”, le type a commencé à prendre des photos, tout le monde lui disait de ne pas poursuivre car il y a déjà trop de monde faisant la même chose. “Qu’est-ce que tu penses de ça?” Le type lui répond “Si tu as une unique vision, si ton point de vue est spécial, tout le monde voudra le voir car les gens veulent voir l’individualité, ce que chacun a à offrir.” Alors les gens se sont sentis concernés, d’avoir quelque chose d’unique et de spécial à transmettre, mais c’est évident que les références et les influences ne peuvent être oubliées.
Mais oui, pour absorber ça et l’utiliser pratiquement comme un proverbe chinois, tu utilises une parole pour… pour utiliser une expérience de quelque choses d’autre, pour absorber ça et savoir comment l’utiliser, d’une manière différente, sans copier, pour avoir un impact, un contexte (…) c’est très important et je pense que ce phénomène arrive très fréquemment ici à Grajau, les gens arrivent à retranscrire cela très bien (…) quand un type chante une chanson, du rap, il y a toujours un contexte, une vision, ils veulent seulement transmettre un message de l’intérieur vers l’extérieur ou alors cela vient de l’extérieur vers l’intérieur, donc je pense que c’est ça, ils reçoivent quelque chose de l’extérieur et puis ils pensent “cool, j’aime bien ça, et maintenant regarde ce qu’on a à l’intérieur de nous pour toi”, donc c’est comme un échange.
Et à propos du contexte, exactement, penses-tu que c’est cela qui fait que quelque chose est unique ?
Je pense que c’est la cohabitation de tout le monde, ici la famille est quelque chose de vraiment très fort, tu sais, c’est précieux dans la vie de chacun, la nouvelle génération ne laisse pas ses parents comme ça, au contraire…
Bien que quelques-uns ne suivent pas ça, mais je pense que le contexte, ces difficultés ou ces joies que toutes les familles rencontrent, que chacun vit, c’est déjà transmettre quelque chose à l’autre, donc je pense que c’est très important, c’est presque comme la littérature du nord du Brésil, c’est un peu comme ça, tu sais, les gens agissent comme “regarde dans ma rue il y a ça”, les gens veulent montrer et dire “ma famille a ça et ça” ou “ma famille n’a pas ça et ça”. Donc cette présence est très importante, tu veux, tu transformes, les jeunes gens veulent montrer un bout de ces changements, de leur évolution, donc je pense que c’est très caractéristique de chaque artiste de ce quartier.
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